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De la (re)vente d’œuvres numériques

Après que la lourde page eut enfin fini de se charger, j'ai lu l'article Ebooks d'occasion : et puis quoi encore ! de Jean-François Gayrard posté sur le site de l'éditeur Numeriklivres et celui-ci me pose un gros problème. Un problème bien trop long à détailler pour se limiter à quelques tweets de réponse, je le ferai donc ici (une fois de plus, Twitter montre que s'il est très adapté à la veille et la diffusion, il l'est beaucoup moins à la communication à double-sens).

L'article s'oppose fermement à quelque chose qui revient souvent sur le devant de la scène : la revente d'occasion de fichiers numériques (très proche du prêt numérique qui revient lui aussi périodiquement). En introduction, l'auteur dénonce un travers fréquent de vouloir transposer au numérique tout ce qui se fait dans l'univers physique et prétend avoir du mal à le comprendre. Pourtant sur ce dernier point c'est très simple à comprendre : toute personne (physique ou morale) qui a un intérêt à une caractéristique de l'univers physique va vouloir préserver cet intérêt dans l'univers numérique. C'est exactement ce que font les éditeur qui imposent des DRM pour recréer la rareté de l'objet physique (même si je ne crois pas que ce soit le cas de Numeriklivres, ce qui est tout à leur honneur) et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Là nous parlons du cas de la revente, les personnes y ayant intérêt n'étant cette fois pas les éditeurs mais les revendeurs et les particuliers. Numeriklivres n'étant pas de ceux-là il s'oppose fort logiquement à cette transposition, comme avant lui le moine copiste s'opposait à l'imprimerie et le fabricant de chandelles à la lampe électrique. Je ne dis pas que cette opposition est infondée, simplement qu'elle est aussi logique et évidente que le soutien d'autre acteurs à ce à quoi elle s'oppose.

Ensuite, l'auteur poursuit avec quelques questions censée j'imagine renforcer le caractère prétendument absurde de la chose :

Sur quels critères se base-t-on pour définir le taux d'usure d'un fichier numérique d'une oeuvre littéraire ? Je voudrais bien que l'on m'explique. Je voudrais bien que l'on m'explique quelle différence y'a-t-il entre vendre des ebooks d'occasion, prêter un ebook ou pirater un ebook ?

Et là je m'interroge : depuis quand le droit de revendre un livre papier est-il lié à son usure ? J'ai souvent acheté des livres d'occasion en meilleur état que bien des livres vendus pour neufs ! Et ce n'est pas parce qu'un livre neuf est abimé que le libraire s'alignera pour autant sur le marché de l'occasion (même s'il est parfois possible d'obtenir un petite ristourne). Sans être expert en droit, il me semble bien que ce qui fait qu'on peut revendre un livre papier c'est qu'après qu'on nous l'ait vendu, on en est propriétaire et que la mécanique d'épuisement des droits s'applique, disant qu'on ne doit plus rien à l'auteur ou à ses ayant droits dès lors que la première vente est passée. L'usure de l'objet n'a rien à voir là dedans. Il en va de même pour le prêt (j'entends prêt gratuit, pour la location c'est différent, du moins dans la loi, alors qu'elle aussi use l'objet).

Or on prétend bien nous vendre un ebook (même si personnellement je me suis toujours bien gardé d'en acheter, pour tout un tas de raisons dont la plupart sont expliquées ici), du coup pourquoi magiquement du fait de la dématérialisation, on perdrait les avantages que nous confère notre achat ?

On pourra peut-être me rétorquer que la version numérique est moins chère (ce que n'est pas loin de faire l'auteur de l'article quand il met en avant les prix qu'il pratique) mais malheureusement en plus de ne pas toujours être vrai, c'est assez hors sujet puisque ce prix plus bas vient directement du fait que la version numérique est moins chère à produire et diffuser (le coût de production de l’œuvre restant à peu près le même).

"Donc tu soutiens la revente de livres numériques ?" me direz-vous. Et ma réponse sera "non". Non je ne soutiens pas la revente de livres numériques mais pas du tout pour les même raisons que l'auteur de cet article.

Si je ne soutiens pas ce droit alors qu'il devrait à mon sens découler directement de la propriété de l'exemplaire numérique c'est parce que justement je conteste ce principe même de propriété d'un exemplaire immatériel qui peut être dupliqué à l'infini pour un coût négligeable. Le problème fondamental avec la revente d'occasion, comme avec le prêt d’œuvres dématérialisées vient ironiquement de ce problème que citait l'auteur en introduction à savoir qu'on cherche à transposer dans l'immatériel un principe lié au contexte physique. Il est à mon sens parfaitement absurde de vouloir s'arroger une propriété sur un exemplaire numérique. Et dès lors que cette propriété n'a pas de sens, tout le château de carte de ce qui s'appuie sur cette propriété s'effondre : vente, prêt, revente et même "piratage". Plus rien de tout cela n'a de sens.

Sauf que lui, l'éditeur, il veut absolument transposer ce qui se fait depuis deux siècles pour le livre papier dans l'univers numérique, à savoir vendre des exemplaires ! Car oui, son gagne pain basé sur la vente (grâce à un pourcentage que lui garantit autre forme de pseudo-propriété posant plein de problèmes de cohérence : la "propriété intellectuelle", sur laquelle je ne m'étendrai pas ici) ne marche plus dans l'univers numérique ou l'exemplaire n'a plus la valeur qu'il avait dans l'univers physique puisque tout le monde peut en fabriquer à l'infini quasi-gratuitement. Sauf que dans l'édition, on sait vendre des exemplaires, alors on continue de le faire dans le numérique et on s'étonne que les autres protagonistes aient envie eux aussi de continuer à faire ce qu'ils faisaient dans le monde physique (prêter, revendre, léguer, etc).

Reste que si le monde numérique n'est pas adapté à la vente d'exemplaires, il faudra bien un jour trouver une alternative pour rémunérer les créateurs (ce qui peut inclure les éditeurs pour les tâches qui interviennent dans le processus créateur, comme le conseil ou la conception du fichier final par exemple). Et c'est bien là le seul point important à réfléchir. Or les seuls dont j'ai jusqu'à présent pu lire des articles là dessus sont soit des auteurs (comme Neil Jomunsi ou Thierry Crouzet) soit le public, ceux à qui sont destinées les œuvres (catégories non-étanches évidemment). Mais personne dans les intermédiaires, ceux-là même qui ont tout à gagner à préserver dans l'univers numérique leur part des pratiques issues de l'univers physique, car sans cela ils cesseront tout bêtement d'exister ou seulement à la marge (comme les moines copistes ou les fabricants de chandelles en leur temps et bientôt les chauffeurs de taxis et de VTC qui s'entredéchirent pour faire voter des lois absurdes en oubliant que dans dix ou vingt ans au plus ils seront tous devenus obsolètes face aux voitures automatiques).

Il y a de nombreux modèles possibles pour permettre aux créateurs de vivre sans faire la manche (ce que ne semble pas si bien faire le système actuel). Par exemple, des concepts du style de la contribution créative ou, bien mieux à mon sens, le revenu de base pourraient très bien remplacer la vente d'exemplaires. Complétées par d'autres prestations qui garderont leur sens comme par exemple la vente de dessins originaux pour les dessinateurs (du moins tant qu'il y aura des dessins originaux) ou les concerts pour les musiciens et chanteurs.

Mais cela ne pourra se faire qu'en se décidant enfin à s'affranchir des "évidences" du passé. C'est-à-dire exactement l'inverse de ce qui se fait actuellement en empilant les dispositifs censés préserver le modèle passé (DRM, flicage, bourrage de crâne, etc) qui ne peuvent au mieux que retarder l'inéluctable et au pire conduire à une de ces "cassures" violentes et sanglantes dont l'histoire regorge.


Mon point de vue sur la nécessaire réforme du droit d'auteur et le partage

Ça fait un moment que je lis pas mal d'articles divers sur ce sujet et dernièrement j'ai participé à plusieurs discussions sur Twitter mais ce dernier est notoirement inadapté pour ça puisqu'on est sans cesse à se concentrer sur une ultra-concision imposée par la limite de caractères des messages, perdant toute possibilité de s'exprimer clairement.

Donc voilà ma vision (à mon niveau de connaissances et de réflexion actuels) sur certains points qui me semblent pertinents au sujet d'une nécessaire réforme du droit d'auteur.

Je me concentre là sur les aspect où les intérêt des ayant droit (quand je dis "ayant droit", j'inclus auteurs, héritiers, éditeurs, etc, bref tous ceux qui ont des droits sur une œuvre) vis à vis de leur public. Il y aurait des choses à dire également sur les aspect liés aux relations entre auteur et éditeurs par exemple mais je connais nettement moins cet aspect et j'ai déjà bien assez à dire pour un article.

Constat : il n'y a pas d'équilibre actuellement

La législation sur le droit d'auteur est déséquilibrée à plusieurs points de vue en faveur des ayant droits (je ne parle pas que des auteurs qui de ce que j'en sais sont loin d'être toujours les principaux bénéficiaires), notamment sur deux points principaux :

  • la durée de protection (non pas de l’œuvre, comme on le lit souvent mais du monopole de l'ayant droit sur celle-ci) est excessivement longue : 70 ans après la mort de l'auteur c'est assez hallucinant. Quand on voit qu'un investissement à long terme dans notre société c'est souvent 10 ou 20 ans et que là on parle d’investissement sur facile 100 ans (en supposant que l’œuvre serait créée 30 ans en moyenne avant la mort de l'auteur, ce qui est probablement sous-estimé), on se dit qu'il y a une certaine distorsion. Et j'ai franchement de gros doutes que, passées quelques décennies après publication, l’œuvre rapporte encore significativement quelque chose. Et pour les exceptions qui rapportent encore, elles sont en règle générale déjà rentabilisées depuis longtemps, elles ne me semblent donc pas un argument valable pour maintenir une telle durée.
  • la nature de la protection : il s'agit d'un monopole exclusif, niant la nature même de la culture qui est d'être partagée. Des exceptions existent mais tendent à être progressivement rognées, comme l'épuisement des droits sur un exemplaire après la première vente qui s'évanouit dans l'univers numérique du fait de la disparition pure et simple de la notion d'exemplaire (même si on tente de le faire survivre via des DRM, sans pour autant faire survivre les droits liés). D'ailleurs même sur les exemplaires physiques, on a régulièrement des tentatives pour recaser une rémunération de l'ayant droit lors de la revente d'occasion.

Piste 1 : légalisation du partage non marchand

L'une des pistes pour rétablir l'équilibre serait de légaliser le partage non-marchand des œuvres, c'est-à-dire lorsqu'il n'implique pas de profit. En effet, avant l'ère numérique, partager une œuvre correspondait généralement soit à se séparer d'un exemplaire qu'on possédait, soit vendre des copies (le coût de la copie étant élevé, il excluait un partage gratuit dans la majeure partie des cas). Maintenant que le coût de la copie est quasi-nul, une nouvelle catégorie de partage est apparue : un partage gratuit et sans contreparties. Les représentant des ayant-droits et industries liées font tout leur possible pour l'empêcher mais cette évolution s'est faite et on ne reviendra pas en arrière sans une contrepartie inadmissible en terme de perte de liberté et de flicage (il est d'ailleurs amusant de noter qu'en s'en prenant à certaines formes de partages, ils en aient favorisé d'autres impliquant des intermédiaire qui, eux, en profitent financièrement).

C'est pour moi la raison principale qui rend cette légalisation nécessaire (en dehors même des justifications morales) : une interdiction sans possibilité de sanction est ridicule et donner de réelle possibilités de sanctions est impossible sans passer par des systèmes de flicage très intrusifs et une énorme perte de liberté pour les utilisateurs. En gros pour faire perdurer l'interdiction il faudrait encore renforcer le déséquilibre.

Néanmoins cette légalisation ne doit pas se faire n'importe comment. Il est important qu'elle ne fasse pas qu'inverser le déséquilibre, sinon on n'aura pas gagné grand chose dans la manœuvre. Il y a notamment deux points cruciaux à bien établir :

  1. bien définir le cadre dans lequel on considère qu'un échange est non-marchand : ce n'est pas trivial à définir puisqu'en creusant bien on finit forcément tôt ou tard à trouver un intérêt économique. On peut considérer en effet que le FAI, hébergeur et le vendeur de matériel y ont tous un intérêt économique. Et intrinsèquement c'est sans doute vrai, comme pour toute activité humaine on finira par trouver quelqu'un qui en profite économiquement à un certain niveau. Mais cela ne suffit pas en tant que tel à justifier l'interdiction. Il faut donc définir des règles claires sur ce qui est assimilable à un partage non-marchand et ce qui ne l'est pas (notamment le cas de la publicité sur un site personnel). On notera que curieusement, quand un FAI permet de télécharger de la musique pour laquelle on aura paye la licence d'utilisation (on ne peut plus parler de vente d’œuvre dans ce cas sans une bonne dose de mauvaise foi), on n'y voit rien à redire et on ne lui demande aucune compensation financière.
  2. définir des contreparties pour préserver l'équilibre : dans la mesure où certains acteurs bénéficient de manière indirecte de ces échanges il n'est pas idiot qu'ils participent financièrement aux contreparties. D'autre part, l'ensemble de la population profitant de ce partage, il n'est pas non plus illégitime de réclamer qu'elle participe au financement de la création (c'est le but premier du droit d'auteur). De nombreuses pistes sont possibles, celle de la contribution créative proposée par la Quadrature du net en est une, qui a le mérite par rapport à d'autres d'essayer de financer effectivement la création plutôt que la rente sur les création existantes. Elle n'est sans doute pas parfaite et d'autres approches sont envisageables. Il ne faut cependant pas s'imaginer que les recettes commerciales disparaîtraient purement et simplement du fait d'une légalisation du partage. Sinon, elles auraient déjà disparu avec le partage illégal qui se fait actuellement. Le fait est que dans un certain nombre de cas un modèle payant apportant une plus-value reste tout à fait envisageable.

C'est sur ces deux points que devraient à mon sens se concentrer les débats, non pas pour savoir si une telle légalisation doit être faite mais plutôt sur comment elle doit l'être.

Car tant qu'on restera dans la tentative de répression et d'empêchement du partage on ne pourra que continuer une longue descente aux enfers en matière de liberté et de droit à la vie privée.

On me rétorquera sans doute que tout ce que je veux c'est avoir tout gratuitement. Je répondrais que si c'était le cas, il y a longtemps que j'aurais cessé à payer pour toutes les œuvres que je "consomme" (j'ai pas trouvé de meilleur mot, même si celui-ci ne me plait pas), du moins toutes celles pour lesquelles l'ayant droit le demande.

Piste 2 : réduction de la durée du monopole

Seconde piste de rétablissement de l'équilibre qui peut (et doit à mon sens) être envisagée conjointement de la précédente : réduire la durée de monopole sur les œuvres. Comme je le disais plus haut, la vente directe de l’œuvre ne rapporte plus vraiment d'argent dans la plupart des cas passées quelques décennies. Continuer à imposer des restrictions semble dans ce cas illogique. D'autres aspects comme la vente de produits dérivés ou de droits d'adaptations peuvent par contre rapporter même quelques décennies plus tard.

Il me semble donc que la protection devrait être graduelle selon l'utilisation : la vente directe devrait avoir une exclusivité courte (20 à 30 ans après publication me semblerait largement suffisant, comme pour les brevets), par contre le volet adaptation/produits dérivés pourrait être plus long (par exemple jusqu'à sa mort si celle-ci intervient après la fin de la période de 20 à 30 ans indiquée plus haut).

Dans tous les cas j’exclurais toute approche du style "jusqu'à sa mort + X années" qui donne des durées de protections très variable sans aucune motivation valable. Il faut également prendre garde à conserver des règles suffisamment simples pour être comprises et applicables par tous, point que le législateur tend malheureusement un peu trop souvent à négliger.

D'autre part, je n'envisage aucune contrepartie pour cette réduction de durée de monopole car elle est actuellement à mon sens outrageusement trop forte, la réduire ne risquant pas d'inverser l'équilibre si la durée est convenablement choisie. En effet, sur ce plan on peut discuter de la durée idéale et la choisir au mieux pour atteindre un équilibre (ce qui n'est pas possible dans le cas du partage non-marchand qui manque de variables d'ajustement, en dehors de la définition du cadre lui-même de ce qui est considéré comme "non-marchand").

Autres pistes plus utopistes

D'autres possibilités plus utopistes (car plus éloignée du fonctionnement actuel de la société) seraient envisageable, notamment comme contrepartie à la légalisation du partage.

Je pense notamment au revenu de base inconditionnel qui, s'il est suffisant, constituerait une source de revenu initiale aux artistes, réduisant d'autant le besoin de financement de leur activité par des ventes.

De même, une réduction forte du temps de travail (avec des semaines de 3-4 jours, qui constitue également une piste de solution au problème du chômage de masse), en augmentant le temps disponible permettrait bien plus facilement de cumuler une activité lucrative avec une activité créative libérée de la contrainte de rentabilité. On pourrait progressivement déprofessionnaliser la culture, ce qui ne serait pas sans avantages (mais sans doute pas sans inconvénients non plus, comme tout gros bouleversement).

Un autre points qui mérite d'être évoqué ici, c'est la possibilité de savoir quand une œuvre entre dans le domaine public (je réfute l'usage du verbe "tomber" dans ce cas qui est bien trop péjoratif). En effet, en l'état c'est extrêmement difficile à cause notamment des prolongation relatives aux guerres d'une part et à cause de l'absence de registre permettant de savoir ce qu'il en est pour une œuvre donnée d'autre part (tous les auteurs n'ont pas leur fiche Wikipédia avec leur date de mort), il y aurait sans doute fort à faire de ce côté-là également pour éviter que trop d’œuvres soient considérées comme inaccessibles "dans le doute" ou pour encourager les créateurs n'ayant pas besoin de la protection maximale à choisir explicitement des licences plus libres.

EDIT : je me disais bien qu'il manquait un bout... j'ai oublié tout le pan sur la protection du domaine public, où il y aurait aussi beaucoup à faire :-/ Ce sera pour une autre fois.


Pourquoi je ne lis que des livres papier ?

Ça fait un moment que je n'ai plus écrit de pavé d'article ici, donc comme je vois passer de nombreux tweets et articles sur le sujet mais aucun qui reflète réellement mon cas, je me suis dit que c'était une bonne occasion.

Cela pourra paraître surprenant à ceux qui suivent un peu les articles que je relaye sur Twitter mais effectivement, je ne lis (presque) que des livres papiers (notons que je parles bien là de « livres » c'est-à-dire de textes longs. Concernant la presse et les textes courts en général, je ne les lis que sur écran). Mes raisons ne sont par contre pas celles avancées en général.

Ce n'est pas que je considère qu'un livre électronique ne serait pas un « vrai » livre mais juste une sorte de sous-produit au rabais. Ce n'est pas non plus la sensation quasi érotique que semblent ressentir certains au toucher du papier ou lorsqu'ils reniflent l'odeur d'un livre. Ni même la crainte que le livre numérique tue les auteurs à coup de piratage. Non, rien de tout ça.

Les raisons principales sont les suivantes :

  • je suis attaché aux objets
  • je préfère un support durable
  • j'ai beaucoup de mal à concevoir l'achat d'un objet immatériel
  • lire reste une des rares activités que je ne fais pas devant un écran

Cet ordre ne reflète pas un ordre d'importance, je serais bien incapable de dire laquelle de ces raisons est prépondérante. D'autant que cet aspect évolue rapidement dans le temps.

Voyons donc tout ça en détails.

L'attachement aux objets

Il s'agit là de la seule raison purement affective du lot, les autres étant plutôt pratiques et/ou philosophiques.

Lorsque je dis que je suis attaché aux objets, je ne parle pas de l'objet livre en particulier mais des objets en général. J'ai toujours été un collectionneur (certains diront plutôt « amasseur », ce qui ne serait pas forcément faux, l'idée de compléter une collection étant finalement secondaire) : gamin j'ai collectionné billes, vignettes autocollantes, pin's et autres pogs. Puis j'ai enchaîné sur les jeux de cartes à collectionner, principalement avec Magic (mais j'en ai essayé beaucoup d'autres). Il est naturel qu'en cet attrait se soit prolongé sur les livres (romans, BD, mangas) et aussi DVD, CD, etc. J'aime bien avoir plein d'objets autour de moi.

Ce c'est pas le cas de tout le monde, loin de là mais c'est mon cas et en l'occurrence c'est mon cas qui importe. Inutile d'essayer de contre-argumenter sur ce point, ce serait à peu près aussi pertinent que d'argumenter sur le fait de savoir si c'est bien ou justifié d'aimer le goût du chocolat.

Passons maintenant aux raisons plus pratiques et philosophiques où pour le coup il peut y avoir matière à argumenter ^^

La lecture, une activité hors écran

Étant développeur web, mon activité professionnelle se pratique quasi-exclusivement devant un écran. Il en va de même de la plupart de mes activités de loisirs : jeux vidéos, visionnage de séries et films, Twitter, lecture d'artcicles, blog, dessin (depuis que je ne dessine quasiment plus que sur ma tablette graphique)... Il n'y a plus grand chose qui ne soit pas sur un écran. Garder la lecture dans cette catégorie me semble sain. Je ne sais pas si c'est mieux pour mes yeux ou pas mais garder des activité hors écran me semble une bonne chose.

D'autant que ce que je lis le plus ce sont des mangas (c'est ce qui se lit le mieux dans les transports) et ça pour avoir fait le test, sur un écran c'est vraiment moyen. Autant pour du texte ça passe, autant de la BD c'est pas ça.

Un support durable

Un point très problématique avec le livre numérique c'est qu'il est facile à perdre. Certes le livre papier peut se détériorer avec l'âge ou bien brûler dans un incendie mais c'est bien peu par rapport à un livre électronique. Préserver durablement un livre électronique est à la fois plus simple et plus difficile. D'un côté il est naturellement facile à récupérer si on le perd puisqu'une copie ne coûte rien et qu'il suffit de trouver quelqu'un qui l'a mais de l'autre si on veut ne pas dépendre de quelqu'un d'autre pour nous le retrouver il faut déployer un certain niveau d'efforts pour mettre en place des sauvegardes régulières pour palier à tout ce qui peut arriver : panne matérielle, perte du support, virus, voire suppression par le fournisseur. Pour ce dernier point, je pense par exemple au cas de ce professeur qui lors d'un voyage à Singapour a eu la mauvaise surprise de voir tous ses livres supprimés par Google Play) ou encore de la fois où Amazon a si ironiquement effacé tous les exemplaires de 1984 des liseuses de ses clients. Évidemment, tous les système proposant des livres électroniques ne sont pas aussi intrusifs mais il reste que pour me priver d'un livre papier il faut s'introduire physiquement chez moi, ce qui est interdit par la loi sans invitation (et dans ce cas c'est en règle générale sous ma surveillance), alors que pour me soustraire un livre numérique c'est beaucoup plus simple et discret.

Le fait est que quand on achète un livre numérique on ne le possède pas vraiment, ce qui nous amène au point suivant.

Acheter du dématérialisé a-t-il un sens ?

J'ai toujours trouvé qu'acheter du dématérialisé dont la copie ne coûte rien et ne prive personne avait peu de sens. Le fait est que plus je creuse la question et lit des articles sur le sujet, plus je suis convaincu que c'est effectivement un non-sens, comme l'analogie assimilant le piratage à du « vol ». En effet, un livre numérique n'est pas un bien rival : si on le copie, on ne prive personne, on a juste un nouvel exemplaire. Si on le fait en dehors du cadre légal que sont la copie privée ou le téléchargement autorisé par l'ayant droit (souvent moyennant finance) on a certes commis une infraction au regard de la loi mais il ne s'agit en aucun cas d'un vol puisqu'on n'a privé personne de son exemplaire. Le seul cas qui serait assimilable à du vol ce serait si après avoir fait la copie, on effaçait l'original. Mais force est de constater que c'est très rarement le cas.

Dès lors quel sens peut avoir l'achat d'un tel bien ? Que possède-t-on lorsqu'on achète un livre numérique ? Le plus souvent la réponse est : un simple droit de lecture. En effet, la plupart des plateformes de téléchargement de livres numériques vous vendent un livre que vous ne pourrez pas donner, ni prêter, ni léguer, ni même revendre. Pire, comme évoqué plus haut, le « vendeur » peut même vous en priver à tout moment si une raison suffisante (de son point de vue) se présente. C'est bien loin de ce qu'on appelle « posséder » quelque chose.

Il y a bien des plateformes de ventes sans DRM qui donnent plus ou moins de vrais droits sur ce qu'on achète mais c'est loin d'être la règle. Et même dans ce cas quel sens cela a-t-il quand on peut copier le livre sans aucun coût ?

La vente de livres numériques (cela vaut aussi pour la musique, le cinéma ou les logiciels, hein, mais là on parle de livres) me semble bien n'être ni plus ni moins qu'une bonne grosse escroquerie intellectuelle.

Par contre cela n'exclut pas que l'auteur puisse être rémunéré. Que ce soit par crowdfunding avant la mise à disposition, par des services annexes, par des dons, etc. Il y a encore beaucoup à faire et à inventer de ce côté-là mais je suis convaincu que cela ne doit pas passer par de la vente de fichiers numériques.

Conclusion

Voilà donc pourquoi je ne lis que des livres papier. Pour autant je n'ai rien contre le fait que d'autres lisent en numérique, au contraire. Ce qui me convient à moi ne conviendra pas à d'autres et inversement. La diversification des support est donc une très bonne chose. Le seul bémol étant l'énorme perte de liberté du lecteur qui accompagne encore trop souvent les livres numériques. Espérons que ce point changera. Même si c'est globalement loin d'être gagné.

Je n'ai pas insisté trop lourdement sur les aspects rémunération des auteurs (croyez-moi j'y suis sensible, parce que même si je ne suis pas auteur de livres, je suis développeur donc auteur de logiciels, l'aspect rémunération du créateur au sens large me concerne donc aussi directement), piratage et réforme du droit d'auteur (et plus généralement de la très mal nommée « propriété » intellectuelle) car mon pavé est déjà bien assez long et que ce n'est pas directement le sujet. Mais sans doute cela donnera-t-il lieu à d'autres articles à l'avenir.