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Science-fiction et anachronismes #2

Il y a quelques années à la lecture du roman de science-fiction Les menhirs de glace (Icehenge an VO) de Kim Stanley Robinson, j’avais été frappé par certains éléments qui me semblaient particulièrement anachroniques dans le futur qu’il nous proposait au point d’en faire un article.

Cette fois-ci c’est le visionnage de deux séries de Star Trek : d’abord Enterprise (2001-2005), puis Deep Space Nine (1993-1999) dont je viens de finir la saison 2 qui m’ont fait tiquer sur certains points.

Je ne vais pas parler de la facilité qu’ils ont à traduire les langues ou d’autres éléments qui ont évidemment pour source le besoin d’éviter les longueurs dans la série. On n’est pas dupe une seconde sur le réalisme mais il y a une justification pratique : l’ensemble de la série perdrait de sa fluidité sans cela, ça fait partie des choses qu’il faut admettre (on est dans une fiction, pas dans un documentaire).

Mais il y a d’autres points qui ne sont pas nécessaires au bon fonctionnement de la série en général et me semblent juste relever d’anachronismes injustifiés.

Attention : ces séries étant anciennes, je vais donner des éléments du déroulement de certains épisodes sans masquage ou gros messages d’alerte. Vous êtes prévenus.

Les outils de communication

Dans Deep Space Nine, chacun des officiers de la station dispose de son « combadge ». Mes souvenirs de la série d’origine sont très vagues mais d’après Wikipédia, ils remplacent les « communicateurs » de l’époque.

On est donc sur des appareils qui ne permettent que le la communication audio (pas d’images notamment) plus certaines données comme la localisation. On est donc bien sur des versions diminuées de nos ordiphones actuels. Quelque part, on peut considérer que ça ne tapait pas trop à côté puisqu’on est effectivement allé dans cette direction (même si dans la pratique on est allé bien plus loin et plus vite qu’ils ne l’envisageaient).

Mais là où ça commence à vraiment être bizarre c’est dans Enterprise qui se passe un siècle avant la série d’origine et deux avant Deep Space Nine. Là la communication dans le vaisseau est assurée par un réseau de bornes murales qui relaient les messages vocaux auxquels on peut répondre après avoir pressé un bouton…

J’imagine que l’idée était de caser un système moins évolué que les communicateurs et combadges des séries chronologiquement postérieures et en cela ça se tient. Cependant ce n’est vraiment pas très crédible par rapport à la réalité de ce qui s’est passé entre temps et qui était déjà bien engagé à l’époque où a été tournée Enterprise (2001-2005) : le téléphone portable puis l’ordiphone se sont rapidement généralisés.

Du coup imaginer qu’on revienne en arrière avec un réseau fixe dans le vaisseau parait assez difficile. Surtout avec tous les petits appareils qu’ils trimbalent et permettant de magiquement tout analyser ou traduire des milliers de langues en temps réel… Qu’ils n’aient pas intégré un appareil de communication sous une forme ou une autre est des plus bizarres et ne s’explique que parce qu’ils ont dû se retrouver piégés entre ce qui avait déjà été fait dans les autres séries (chronologiquement postérieures et donc technologiquement plus avancées) et ce qui s’est passé entre temps dans la réalité.

L’irréfutabilité de l’enregistrement

La bascule ne s’est pas encore faite dans notre époque actuelle mais elle s’annonce de plus en plus : comment peut-on imaginer s’assurer qu’un enregistrement est véridique ? Pour une communication en temps réel c’est plus simple, on peut imaginer des signatures authentifiant les interlocuteurs comme on le fait actuellement avec les mails quand on veut certifier leur émetteur et la non-altération du contenu. Mais on ne certifie en aucun cas l’honnêteté de l’interlocuteur, juste de la transmission.

Dans l’épisode 13 de la seconde saison de Deep Space Nine (Annihilation en VF, Armageddon Game en VO), les représentant d’une race extra-terrestre rapportent un enregistrement vidéo censé relater la mort de deux membres de la station. Cet enregistrement est accueilli comme évidemment vrai par le commandant.

La seule à le mettre en doute est la femme de l’un des deux supposés morts qui croit déceler une incohérence dans le comportement de son mari (qui ironiquement s’avère en plus faux à la fin de l’épisode). À aucun moment les responsables de la station ne remettent en cause la véracité de l’enregistrement. Ils remettent fréquemment en cause les témoignages oraux mais pas les enregistrements. Notamment ils se fient aveuglément à un élément pourtant facilement falsifiable : l’horaire indiqué dans l’enregistrement.

Déjà actuellement, l’authentification des preuves que ce soient des enregistrements vidéo ou vocaux ou plus généralement des documents numériques est de plus en plus difficile. De nombreuses manipulations peuvent être faites de façons de plus en plus indétectable : changer une métadonnée comme la date est généralement assez simple et difficilement détectable.

On imagine donc bien qu’au 23e siècle, tandis que l’humanité parcourt la galaxie, les techniques de manipulation d’image ont nécessairement progressé également. Si à notre époque les premières résurrections d’acteurs décédés par images de synthèses restent perfectibles, on imagine bien que 3 siècles plus tard ce sera plus vrai que nature.

Il parait donc plus qu’étrange que la question de la falsification ne se pose même pas avant l’intervention de l’épouse. Certes les extra-terrestres en question sont bien censés être plus ou moins des alliés mais bon quand on vous annonce que deux de vos experts sont morts (suite à une erreur de manipulation de l’un d’eux en plus) alors qu’ils étaient sur le point de finir une mission sans danger il semble naturel de se poser des questions. Et là rien : l’enregistrement est une preuve évidente. Point.

L’impasse de la biométrie

Dans l’épisode 25 de la seconde saison de Deep Space Nine (Tribunal aussi bien en VO qu’en VF), Miles O’Brien est accusé d’avoir volé des armes. Notamment l’ordinateur relève que c’est lui qui est le dernier à être entré dans le dépôt. La preuve ? C’est sa voix qui a commandé l’ouverture de la porte.

Bon là au moins la preuve est mise en doute et rapidement ils remarquent en analysant l’enregistrement que la voix a été trafiquée. Ou plutôt que la phrase prononcée est un montage réalisé à partir de mots distincts enregistrés.

Mais un système de sécurité authentifiant les gens à leur voix ? Vraiment ? C’est tellement évidemment facile à abuser, que ce soit en rejouant un enregistrement véridique ou en en construisant un, que même de nos jours on n’essaie pas d’utiliser un truc aussi faible.

Intrinsèquement la biométrie est peu fiable pour de l’authentification et ce pour deux raisons principales : d’une part les données biométriques sont publiques ou récupérables assez facilement et d’autre part elles sont non-modifiables (enfin y a toujours moyen de recourir à la chirurgie pour certaines d’entre elles mais c’est assez lourd pour une donnée fuitée dont la remplaçante sera de nouveau facilement accessible).

Même actuellement quand on met en avant la biométrie pour de l’authentification on a la décence de prendre un truc un peu moins facile à falsifier que la voix (genre l’iris ou les empreintes digitales).

Là on est censé avoir fait des progrès énormes mais on reste sur de l’authentification vocale pour protéger l’accès à un dépôt d’armes… Ça laisse songeur.


La science-fiction ou l'art d'imaginer un futur qui n'adviendra pas ?

Science-fiction et anachronismes #1

Il y a peu, j'ai achevé la lecture du roman de science-fiction Les menhirs de glace (Icehenge an VO) de Kim Stanley Robinson qui nous projette dans le futur puisqu'il se déroule entre 2248 pour la première partie et 2610 pour la troisième. Ce roman est sorti en 1984, il y a trente ans, fatalement il y a donc des aspects qui semblent anachroniques tant les (r)évolutions en marche actuellement tranchent avec ce que l'on pouvait croire immuable il y a encore quelques décennies.

L'omniprésence du papier

Le premier point qui frappe c'est l'omniprésence du papier. La révolution numérique en cours laisse présager que même si le papier garde son intérêt dans certains domaines, son importance décline et continuera à décliner. C'est donc avec amusement qu'on voit le personnage principal de la seconde partie du roman acheter « à la librairie du train » un livre pseudoscientifique qu'il sait d'avance sans intérêt autre que de se détendre pendant un trajet en train. J'ai du mal à concevoir qu'à l'avenir ce genre d'ouvrage se vende encore sur papier.

En effet, à terme, je ne vois le papier perdurer que pour ce qui est censé être durable. C'est ce que laisse fortement présager en tout cas la disparition progressive déjà actuellement des plus jetables des œuvres papier : les journaux qui passent progressivement à un format numérique bien plus adapté. Le papier perdurera pour certaines archives (différemment durable et plus facile à authentifier que du dématérialisé) ou pour des éditions "collector" de livres ou de l'impression à la demande mais certainement pas pour du jetable et encore moins pour quelqu'un qui voyage beaucoup (le personnage en question est archéologue).

De même lorsqu'il fait des recherches dans les archives datant d'après notre époque, il dispose certes de quelques index informatiques pas connectés entre eux mais passe l'essentiel de son temps à fouiller dans des papiers. Ça semble inimaginable actuellement lorsqu'on se projette dans plusieurs siècles. On n'est évidemment pas à l’abri d'une régression dans ce domaine mais c'est amusant de constater que ces domaines étaient apparemment considéré comme immuables par l'auteur alors que par ailleurs dans le domaine du transport spatial, de la médecine (les humains vivent 600 ans) ou de la biologie, les progrès ont été considérables.

Un réseau informatique balbutiant

L'autre point assez frappant d'anachronisme c'est l'informatique. S'il dépeint des évolutions (la vidéo est remplacée par un système holographique), dans l'ensemble il reste sur un modèle très archaïque de réseau informatique proche du minitel dans ses concepts, voire pire : très cher d'accès, les pauvres ne pouvant y accéder que dans des lieux spécialisés, aucun terminal mobile, même pas d'ordinateur portable. De ce point de vue là, ça fait quinze ans qu'on a largement dépassé ses prévisions ! Certes dans un contexte où l'humanité s'est disséminée dans tout le système solaire il y a des défis techniques à relever par rapport à ce qu'on sait faire actuellement mais tout cela se passe dans plusieurs siècles, difficile d'imaginer que tout cela évolue aussi peu d'ici là.

Là aussi et même plus encore que sur le papier des régressions sont tout à fait envisageables notamment, les mouvements de centralisation en cours en ce qui concerne Internet pourraient y mener. Surtout si les fournisseurs sont encouragés à geler les investissements pour générer une pénurie de bande passante favorable à la promotion d'offres de débits garantis vers certains services et contenus qui les font gagner sur tous les tableaux : ils investissent moins, rançonnent le fournisseur de service ou contenu et facturent ça en plus à l'utilisateur. Ça pourrait tout à fait arriver à court terme si les pouvoirs publics cèdent à leurs demandes contre la neutralité du net. Mais il est difficile d'imaginer qu'ils se coupent totalement des revenus que peuvent leur apporter les abonnements des pauvres.

De même, je doute que si Internet devient trop surveillé par les états ou pourri par la mainmise des multinationales que le concept de réseau neutre et ouvert disparaisse : un autre réseau verra sans doute le jour à côté si nécessaire. Donc imaginer à notre époque un réseau peu accessible est assez difficile à imaginer.

La difficulté à publier

À la croisée des deux points précédents, on a la difficulté à publier un livre. Dans la troisième partie, le personnage principal évoque sont père : "un poète qui écrivait pour son plaisir et ne paya jamais un sou pour faire entrer ses poèmes dans les archives publiques", ailleurs il dit qu'en gros ça fonctionne comme une grosse banque d’œuvres où les éditeurs peuvent piocher pour publier. Alors qu'à l'heure actuelle n'importe qui peut publier ses œuvres sur Internet et quasi gratuitement. Voire toucher un peu sur des ventes via Amazon par exemple. Évidemment, peu trouve un large public comme ça mais c'est totalement possible (et accessoirement peu des livres publiés par des éditeurs traditionnels trouvent le succès de toute façon). Du coup cette idée où il faudrait payer pour avoir une chance peut-être d'être remarqué pour être publié semble sacrément désuète à notre époque.

Là aussi ça peut encore changer, les choses peuvent se verrouiller à nouveau mais c'est peu crédible car les plus gros vendeurs, Amazon le premier, n'ont aucun intérêt à mettre une barrière à l'entrée. Ce qui n'empêche pas des éditeurs de faire de la publication sélective mais il ne sont plus que l'une des options possibles pour un auteur là où jusqu'à récemment ils étaient encore quasiment la seule.

Un genre très ancré dans son époque

Dans l'ensemble son univers reste crédible pour moi parce que j'ai connu l'époque d'avant et ça doit être d'autant plus crédible pour les gens qui n'ont pas encore pris conscience de la profondeur des changements actuels. Mais restera-t-il compréhensible pour les générations futures ? Et à l'inverse, s'il avait imaginé quelque chose de plus proche de ce que nous connaissons maintenant, aurait-il paru crédible et compréhensible à l'époque ? Pas sûr du tout.

Ça me fait mesurer un peu plus encore à quel point la science-fiction est sans doute le genre le plus « périssable » car ancré fortement dans son époque. Là où la fantasy - qui est généralement basée sur une période passée ou un monde y ressemblant - survit très bien au passage des ans (pour sa plus grande part, le Seigneur des anneaux pourrait être écrit actuellement), où le roman contemporain devient historique, la science-fiction devient anachronique. Ce qui ne veut pas dire quelle perd tout intérêt mais c'est sans doute le genre qui vieillit le plus difficilement.

Cela étant, malgré ces anachronismes, j'ai beaucoup aimé ce livre que je recommande. Parce que même si certains éléments (les points que j'ai évoqués sont loin d'être centraux) sont un peu datés, tout ça sert surtout de cadre à une réflexion sur la mémoire, l'allongement de la durée de la vie et la politique, réflexion qui, elle, reste tout à fait intéressante et d'actualité.

Et c'est là que je me dis que je serais très mauvais critique littéraire, parce ce bouquin m'a beaucoup plu mais que le seul article qu'il m'a inspiré est centré sur des aspects négatifs secondaires sans grande importance, juste parce qu'ils font écho à des discussions et lectures récentes :D